Extraits
Pour vous donner une idée de mon travail à partir de nos entretiens, c’est-à-dire du passage du récit oral au texte écrit, vous trouverez ci-dessous la mise en écrit d’interviews publics disponibles sur Internet :
Albert, Regard sur un siècle d'évolutions agricoles
L’agriculture avant l’arrivée des machines
Je suis né en 1929 à Monceaux-sur-Dordogne, en Corrèze, de parents paysans. Je me suis marié à 20 ans et j’ai repris la ferme familiale, que, plus tard, je lèguerai à mon fils. A l’époque, nous avions moins de bétail qu’aujourd’hui. Nous arrivions à vivre grâce à nos cochons plus qu’avec nos vaches. Tous les travaux agricoles étaient alors réalisés à la main. Nous fauchions à la faux, utilisions la fourche pour faire sécher le foin, le transportions en charrette. Nous labourions à la charrue et à la pelle. Tout le monde travaillait de cette façon.
Le tournant des années 1950
J’ai vécu tous les grands changements qui ont bouleversé l’agriculture à partir de la seconde moitié du XXe siècle. Les tracteurs américains à essence ont fait leur apparition en France dans les années 1950, des Massey Ferguson Pony. Cela faisait des émules chez les jeunes agriculteurs dont j’étais. J’ai harcelé mes parents pour qu’ils en achètent un et ils ont fini par céder. Notre tout premier tracteur était équipé d’une charrue alternative et d’une barre de coupe. A cette simple évocation, mes yeux brillent comme la première fois que je l’ai eu en main !
A partir de là, il en a fallu toujours plus. Le travail était facilité, mais nous voulions toujours plus de machines. Le besoin financier allait croissant pour répondre à nos ambitions nouvelles. Finalement, nous travaillions autant que lorsque nous n’avions que nos mains pour effectuer les travaux. Nous ne nous levions pas plus tard, nous ne nous couchions pas plus tôt. En réalité, nous vivions encore plus mal qu’avant. L’entrée de notre métier dans l’ère des machines nous a propulsés dans une folle « course aux euros ». Ceux qui poussent la porte des marchands de machines agricoles rentrent dans un cercle vicieux. Il faut toujours en acheter de nouvelles, s’endetter toujours plus. Ils se noient dans des crédits qu’ils n’en finissent jamais de rembourser. Au moins ai-je la fierté, du haut de mes 93 ans, d’avoir réussi à transmettre une propriété saine à mes enfants.
Ma vie de nonagénaire
S’il m’est plus difficile aujourd’hui d’aller marcher le long de ma Dordogne adorée, je continue à me lever très tôt pour lire le journal. La société d’aujourd’hui m’inspire un regard à la fois acerbe et moqueur.
Sylvie, Une Vie volée
Les enfants de la Creuse
Je fais partie des 2 015 enfants volés à leurs parents à La Réunion pour repeupler les campagnes françaises. Plus de 2 000 familles brisées, plus de 2 000 enfants arrachés à leur terre et à l’amour des leurs parce qu’un député français, Michel Debré, eut l’idée de se servir parmi les nombreux enfants que comptait alors La Réunion pour compenser l’exode rural dont souffrait la métropole… Ces enlèvements ont duré plus de vingt ans, de 1962 à 1984.
Les envoyés du gouvernement français faisaient croire à nos parents que leurs enfants partaient en métropole pour y apprendre un bon métier et que nous reviendrions les voir une fois par an. La plupart des parents réunionnais de l’époque étaient illettrés. Ils leur soumettaient des documents qu’ils ne pouvaient comprendre et les leur faisaient signer d’une croix ou d’une empreinte de doigt.
Un jour, des fonctionnaires de la DDASS ont débarqué chez nous. Ils nous ont habillés de beaux vêtements, puis nous ont emmenés, mon frère et moi, sans rien nous expliquer. Nous avons été conduits à l’aéroport, déshabillés et mis dans un avion, nus. Nous ne comprenions rien à ce qu’il se passait. De longues heures plus tard, nous atterrissions à l’aéroport d’Orly. Là, on nous a confiés à un homme et une femme que nous n’avions jamais vus. Nous les avons salués d’un « Bonjour Madame. Bonjour Monsieur. », qu’ils se sont empressés de rectifier, répliquant qu’il fallait les appeler « papa » et « maman ». J’avais alors 4 ans et mon frère 5. Je comprendrai plus tard que nous avions été bradés à ce couple de la Creuse, un enfant pour le prix de deux, comme pour les soldes ! Ces gens nous ont fait croire que nos parents nous avaient abandonnés à la naissance et qu’ils nous avaient adoptés.
Une enfance et une adolescence de souffrance
La situation s’est rapidement dégradée. Petite, je souffrais d’énurésie. Un jour, pour me punir, « ma mère » a enfilé ma culotte mouillée sur ma tête et m’a obligée à faire le tour du quartier ainsi affublée pour me faire passer l’envie de recommencer. Ce souvenir me hante encore aujourd’hui. Ces brimades et humiliations étaient quotidiennes. J’ai subi des maltraitances physiques et verbales toute mon enfance. A l’adolescence, les violences sexuelles sont venues compléter la liste de mes sévices. Mon frère et moi avions droit à des insultes racistes, nous étions traités de « singes », de « négros », de « bâtards ». J’avais l’impression de n’être personne.
Plus les années passaient et plus j’allais mal. Adolescente, j’ai développé des troubles psychiques. Je me sentais coupable des coups de martinet, des fessées jusqu’au sang. Je me pensais folle et me disais que je méritais les humiliations et les mauvais traitements. A 19 ans, j’ai été mise à la porte de chez moi.
L’horreur de la vérité
J’avais la sensation d’être emprisonnée en métropole. Ma tête était restée à La Réunion. J’avais besoin de comprendre, de savoir ce qui s’était passé. Je me suis mise en quête de vérité. Mon frère était mon seul repère. Nous ignorions si nous avions d’autres frères et sœurs. Mes recherches à la DDASS me révélèrent que mes parents n’avaient jamais signé ou marqué de leur empreinte aucun document officiel d’abandon. Le Conseil départemental m’a confirmé qu’il n’existait aucun justificatif légal indiquant que j’avais été mise à l’adoption.
Puis, en 2014, c’est par un reportage à la télévision que la vérité me sautera au visage, aux yeux, aux oreilles, bouleversant mon corps tout entier, secoué de sanglots et tordu de douleurs. Il s’ensuivra une dépression longue de deux ans. Ce reportage sur les enfants de la Creuse constituait la dernière clé qu’il me manquait pour comprendre que tout ce que je ressentais dans ma chair et dans mon âme depuis tout ce temps avait une raison d’être.
Sur une période longue de plus de vingt ans, 2 015 enfants ont été arrachés à leurs familles et à leur terre et j’en fais partie. Jamais je ne retrouverai la vie que j’aurais dû avoir à La Réunion ; elle m’a été volée, il n’y a pas de retour en arrière possible. Il m’a fallu accepter que ma vie soit en France. Je n’y suis parvenue que récemment.
Si l’Assemblée Nationale a reconnu en 2014 la faute commise de 1962 à 1984, nous avons besoin d’excuses publiques de la part du gouvernement français. Une cellule psychologique spécifiquement dédiée à notre situation nous est nécessaire car nous sommes tous en grande souffrance. Certains d’entre nous s’en vont de maladie, de suicide. Il est urgent de nous reconnaître comme victimes d’une décision politique totalement inhumaine et de nous venir en aide.
Georges Brassens
Aucun individu ne vaut mieux qu’un autre
J’ai la chance de pouvoir vivre en faisant ce que j’aime et comme je l’aime. Pour autant, tout métier est intéressant, car utile aux autres. Le balayeur est utile car, en rendant propres les rues que nous traversons, il contribue à notre bien-être. Le facteur est utile car il nous apporte des nouvelles – bonnes ou mauvaises – de nos proches. Le plombier est utile : en réparant mes canalisations, il me décharge d’un problème. Les métiers de la création artistique semblent plus intéressants, les créateurs qui inventent de nouvelles technologies paraissent fascinants. Pourtant, même la besogne la moins exaltante pour celui qui l’effectue est utile aux autres. Sans ces travailleurs-là, je ne créerais pas. C’est parce qu’ils sont là que les créateurs peuvent s’adonner à leur art.
Les autres sont indispensables. C’est pourquoi je me garderais bien de classifier les êtres. Quant aux « parasites », ceux qui profitent sans contribuer, ils finiront par disparaître. Tout comme ceux qui se consacrent à des activités dont nous n’avons pas véritablement besoin, nourrissant la société de surconsommation dans laquelle nous évoluons. La profusion n’étant pas indispensable, quand cette société disparaîtra, ils utiliseront leur énergie à des fins plus utiles.
Ceux qui travaillent chez les autres ont droit à plus de respect qu’on leur en donne habituellement. Personnellement, si ma gouvernante, Sophie Duvernoy, casse quelque chose qui m’appartient, je peux lui en vouloir, mais pas m’emporter contre elle. De façon générale, je ne me mets pas en colère contre mon entourage pour un bien matériel abîmé, même si l’envie est là. On pourra m’objecter que c’est facile quand on a les moyens financiers de le remplacer, mais même avant d’avoir ce niveau de vie, ce n’était pas dans mes pratiques. Je ne peux plus le prouver néanmoins.
Les interviews, une vision tronquée
Les interviews ont ceci de frustrant qu’elles se déroulent toujours dans un temps compté, du fait de nos occupations respectives. Si j’étais enfermé en prison pour plusieurs années, mes codétenus pourraient apprendre à me connaître véritablement, car alors nous aurions devant nous le temps nécessaire pour aller au fond des choses. Analyser la question posée, prendre du recul, le temps de la réflexion, envisager la question sous différents angles, laisser advenir les différentes réponses que j’aurais envie d’y apporter dans différents contextes… J’aurais alors la possibilité d’approfondir ma pensée et d’en livrer quelque chose de plus intéressant que dans le flot de nos vies quotidiennes où chacun est pressé par un emploi du temps chargé. Mon interlocuteur aurait d’ailleurs aussi l’opportunité de ne pas se contenter d’une réponse déconnectée de la réalité. Il me verrait interagir au quotidien avec mon entourage, il entendrait mes paroles, serait témoin de mes actes. Il n’aurait pas à se contenter de réponses théoriques, sans recul, délivrées à la va-vite au cours d’un échange limité par des contraintes de temps.
Je n’aime pas particulièrement être interrogé sur moi et ma vie. Je dois au public des chansons correctement écrites. Mes autres préoccupations ne le concernent pas. Je n’aime pas faire état des questions que je me pose, des comportements que j’ai eus et dont je ne suis pas fier, ni même de ceux qui me semblent bons pour mon prochain. Je n’interroge pas non plus les autres d’ailleurs, ou alors indirectement, lors de mes échanges avec eux, dans le flot de nos discussions. Apporter une réponse à une question, c’est figer quelque chose qui par nature est évolutif. Mon avis sur tel sujet à cet instant est différent de ce qu’il aurait été il y a trois jours et de ce qu’il sera dans une semaine. Figer dans l’esprit de quelqu’un un point de vue que j’ai pu avoir à un moment précis donne finalement de moi une image tronquée, voire erronée. C’est pourquoi j’essaie d’apporter plusieurs réponses à une même question lorsque l’on m’interroge, pour donner à voir différentes facettes qui me composent.
Biographe dans la région de Marseille et en visio, je recueille votre récit et rédige ce qui deviendra le livre de votre vie ou d’une période de votre vie.
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